Dans le box à Paris, Sosthène Munyemana face à l’histoire

munyemana

Le procès en appel de Sosthène Munyemana se poursuit à la cour d’assises de Paris, plus de trente ans après le génocide qui a décimé plus d’un million de Tutsi au Rwanda. Pour les parties civiles, chaque audience est un nouveau pas vers la vérité ; pour l’accusé, c’est une ultime chance de convaincre qu’il n’a pas participé aux crimes. L’homme de 69 ans, médecin-gynécologue de formation, avait été condamné en décembre 2023 à 24 ans de réclusion criminelle pour génocide et crimes contre l’humanité. Aujourd’hui, son destin se joue à nouveau, sous le regard de survivants et d’historiens qui scrutent chacun de ses gestes.

Le poids des mots, le choc des témoins

Mardi 23 septembre, les débats ont été marqués par une série de témoignages clés. Au cours de l’audience, les témoignages d’expert, de chercheur et d’enquêteur rappellent la réalité implacable des faits .Premier à la barre : Florent Piton, historien, auteur de Le génocide des Tutsi au Rwanda. Avec précision, il a déconstruit l’idée d’une violence spontanée.
« Le génocide n’est pas un surgissement incontrôlé, c’est le fruit d’un projet politique longuement mûri », a-t-il affirmé. Selon lui, dès les années 1990, les élites locales et nationales ont façonné une idéologie qui désignait les Tutsi comme des ennemis de l’intérieur. « L’auto-défense, invoquée alors, n’était qu’un cache-sexe pour la mise en œuvre d’une extermination », a insisté le chercheur.

Il a rappelé que le MDR, parti auquel appartenait Munyemana, avait progressivement basculé vers l’extrémisme, jusqu’à adopter en 1993 l’étiquette « MDR-Parmehutu » et le slogan du Hutu Power. Dans ce contexte, « adhérer au parti en 1993, c’était savoir dans quel camp on s’engageait », a-t-il conclu.

Vint ensuite la parole de la psychologue clinicienne Diana Kolnikoff. Forte de trente ans d’expérience auprès de victimes de crimes de masse, elle a décrit la spécificité du traumatisme rwandais. « La cruauté distingue les crimes politiques de masse : il ne s’agit pas seulement de tuer, mais d’anéantir l’humanité de l’autre par des mises en scène de violence, devant les familles, par le viol et la torture. » Pour elle, chaque procès constitue une « re-traumatisation », mais aussi une étape nécessaire : « Les victimes attendent de la justice une reconnaissance. Elles veulent que leur souffrance ne soit pas niée. »

Dans l’après-midi, le général Jean-Philippe Reiland, Directeur de l’Office Central de Lutte Contre les Crimes Contre l’Humanité (OCLCH), a témoigné de la complexité des enquêtes menées au Rwanda. « Nous devons recueillir la parole des témoins sans augmenter leur traumatisme. Mais je n’ai jamais ressenti d’entrave de la part des autorités judiciaires rwandaises », a-t-il insisté, contredisant les doutes exprimés par la défense. « C’est même le seul pays où l’on nous a laissés conduire seuls les auditions, sans aucune présence locale. »

Enfin, Alain Gauthier, président du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), a rappelé l’importance de ce combat judiciaire mené depuis vingt ans par les rescapés et leurs soutiens. « Sans la ténacité des parties civiles, nombre de ces procès n’auraient jamais eu lieu », a-t-il affirmé, soulignant que la lutte contre l’impunité est aussi une lutte contre l’oubli.

La défense d’un homme, l’ombre d’un médecin

Tout au long des débats, Sosthène Munyemana demeure impassible derrière la vitre du box des accusés. Né en 1956, diplômé de médecine, il était gynécologue à l’hôpital universitaire de Butare au moment des faits. Notable respecté, il aurait utilisé son influence pour appuyer la mise en place de barrages routiers et pour diffuser l’idéologie du Hutu Power dans la région de Tumba, selon l’accusation. De nombreux témoins l’accusent d’avoir pris part à des réunions de planification et d’avoir incité à la persécution des Tutsi.

Après avoir quitté le Rwanda en juillet 1994, il s’est réfugié en France, où il a exercé comme praticien à Villeneuve-sur-Lot, menant une vie discrète. « C’était un médecin apprécié, un homme cultivé et affable », se souviennent ses collègues français. Mais dès 1995, des rescapés l’identifiaient comme acteur du génocide. Les premières plaintes ont été déposées en 1995, et l’instruction aura duré près de trois décennies avant de déboucher sur son procès historique à Paris.

En décembre 2023, les jurés l’ont reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité, et l’ont condamné à 24 ans de prison. Une sanction lourde, mais en deçà de la perpétuité requise par l’accusation. L’appel qu’il a interjeté en janvier 2024 est aujourd’hui l’ultime étape d’un parcours judiciaire hors norme.

Pour les rescapés, ce procès dépasse la personne de Munyemana. « Chaque condamnation est un acte de justice pour nos familles », confie un plaignant rwandais qui vivait à Tumba lors des faits. « Mais c’est aussi un rappel que le temps ne doit pas effacer l’exigence de vérité », conclut-il.

D’ici peu de jours, la cour d’assises dira si elle confirme la peine de 24 ans ou si elle accorde à l’ancien gynécologue une réduction de sa responsabilité. “Dans le silence du box, Sosthène Munyemana sait qu’il ne rejoue pas seulement sa liberté : il affronte, à la barre de l’histoire, le verdict d’une mémoire collective que rien n’effacera”, confie un rescapé des faits de Tumba vivant dans la ville de Muhanga.

munyemana

Sources: CPRC et survivants

Telesphore KABERUKA

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *